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vendredi 29 janvier 2016

Alphabet d'encre et de soie

Shurong Diao, artiste américaine a conçu cet alphabet chevelu.
"Je voulais construire un pont entre les caractères chinois et les lettres romanes" a déclaré Shurong Diao au HuffPost. "En utilisant la chevelure noire si particulière des femmes asiatiques, j'ai créé une police d'écriture imitant l'effet de l'encre sur le papier de riz."

samedi 27 avril 2013

Georges Rodenbach, romancier symboliste


Bruges-la-Morte (roman,1892)
Hugues est veuf et ne supporte pas la mort de son épouse. Son amour pour elle était si fort qu’il a conservé la chevelure de la disparue et lui voue un culte mystique. Quand une autre femme commet le sacrilège de toucher à cette relique, la tresse de la défunte se mue en instrument de mort. 


Puis, la jeune femme était morte, au seuil de la trentaine, seulement alitée quelques semaines, vite étendue sur ce lit du dernier jour, où il la revoyait à jamais: fanée et blanche comme la cire l'éclairant, celle qu'il avait adorée si belle avec son teint de fleur, ses yeux de prunelle dilatée et noire dans de la nacre, dont l'obscurité contrastait avec ses cheveux, d'un jaune d'ambre, des cheveux qui, déployés, lui couvraient tout le dos, longs et ondulés. Les Vierges des Primitifs ont des toisons pareilles, qui descendent en frissons calmes.
Sur le cadavre gisant, Hugues avait coupé cette gerbe, tressée en longue natte dans les derniers jours de la maladie. N'est-ce pas comme une pitié de la mort? Elle ruine tout, mais laisse intactes les chevelures. Les yeux, les lèvres, tout se brouille et s'effondre. Les cheveux ne se décolorent même pas. en eux seuls qu'on se survit! Et maintenant, depuis les cinq années déjà, la tresse conservée de la morte n'avait guère pâli, malgré le sel de tant de larmes.

Pour la voir sans cesse, dans le grand salon toujours le même, cette chevelure qui était encore Elle, il l'avait posée là sur le piano désormais muet, simplement gisante - tresse interrompue, chaîne brisée, câble sauvé du naufrage! Et, pour l'abriter des contaminations, de l'air humide qui l'aurait pu déteindre ou en oxyder le métal, il avait eu cette idée, naïve si elle n'eût pas été attendrissante, de la mettre sous verre, écrin transparent, boîte de cristal où reposait la tresse nue qu'il allait chaque jour honorer.
Pour lui, comme pour les choses silencieuses qui vivaient autour, il apparaissait que cette chevelure était liée à leur existence et qu'elle était l'âme de la maison....”


Au terme d'une promenade dans Bruges, Hugues croise une femme qui  ressemble à la morte. Cette  apparition le fait chavirer.

“Eh bien! oui! cette fois, il l'avait bien reconnue, et à toute évidence. Ce teint de pastel, ces yeux de prunelle dilatée et sombre dans la nacre, c'étaient les mêmes. Et tandis qu'il marchait derrière elle, ces cheveux qui apparaissaient dans la nuque, sous la capote noire et la voilette, étaient bien d'un or semblable, couleur d'ambre et de cocon, d'un jaune fluide et textuel. Le même désaccord entre les yeux nocturnes et le midi flamblant de la chevelure...."

Hugues va vivre une brève idylle avec cette autre femme jusqu’au jour où Jane se rend chez lui et touche à la chevelure de la Morte.

“Jane, ironique, s'égayant avec perversité de l'irritation de Hugues, et la secrète envie de le narguer davantage, avait passè dans l'autre pièce, touchant à tout, bouleversant les bibelots, chiffonnant les étoffes. Tout à coup elle s'arrêta avec un rire sonore.
Elle avait aperçu sur le piano le précieux coffret de verre et, pour continuer la bravade, soulevant le couvercle, en retira, toute stupéfaite et amusée, la longue chevelure, la déroula, la secoua dans l'air.
Hugues était devenu livide. C'était la profanation. Il eut l'impression d'un sacrilège...
Depuis des années, il n'osait toucher à cette chose qui était morte, puisqu'elle était d'un mort. Et tout ce culte à la relique, avec tant de larmes granulant le cristal chaque jour, pour qu'elle servît enfin de jouet à une femme qui le bafoue...
Il allait la chasser! Mais Jane, tandis qu'il s'élançait, se retrancha derrière la table, comme par jeu, le défiant, de loin suspendant la tresse, l'amenant vers son visage et sa bouche comme un serpent charmé, l'enroulant à son cou, boa d'un oiseau d'or...


Hugues criait: ‘Rends-moi! rends-moi!...’
Jane courait, à droite, à gauche, tourbillonnant autour de la table.
Hugues, dans le vent de cette course, sous ces rires, ces sarcasmes, perdit la tête. Il l'atteignit. Elle avait encore la chevelure autour du cou, se débattant,
Georges ne voulant pas la rendre, fâchée et l'injuriant maintenant parce que ses doigts crispés lui faisaient mal.
- Veux-tu ?
- Non! dit-elle, riant toujours d'un rire nerveux sous son étreinte.
Alors Hugues s'affola; une flamme lui chanta aux oreilles; du sang brûla ses yeux; un vertige lui courut dans la tête, une soudaine frénésie, une crispation du bout des doigts, une envie de saisir, d'étreindre quelque chose, de casser des fleurs, une sensation et une force d'étau aux mains - il avait saisi la chevelure que Jane tenait toujours enroulée à son cou, il voulut la reprendre! Et farouche, hagard, il tira, serra autour du cou la tresse qui, tendue, était roide comme un câble. Jane ne riait plus; elle avait poussé un petit cri, un soupir, comme le souffle d'une bulle expirée à fleur d'eau. Étranglée, elle tomba.  Elle était morte - pour n'avoir pas deviné le Mystère et qu'il y eût une chose là à laquelle il ne fallait point toucher sous peine de sacrilège. Elle avait porté la main, elle, sur la chevelure vindicative, cette chevelure qui, d'emblée - pour ceux dont l'âme est pure et communie avec le Mystère - laissait entendre que, à la minute où elle serait profanée, elle-même deviendrait l'instrument de mort..."




Charles Baudelaire, voyageur amoureux


Pour le poète, la chevelure, première parure de la femme aimée, invite aux langoureux voyages. En plongeant avec délice dans les tresses dénouées de son amante - Jeanne Duval, dite la Vénus noire - l’auteur lève l’ancre, associant les ondulations de ses boucles d’ébène à l’univers liquide, les parfums de sa sombre crinière à un ailleurs paradisiaque. Rêves et souvenirs lointains s’entremêlent dans une succession de tableaux voluptueux. Quand la chevelure devient navire, roulis, mousson, rivage exotique, luxuriant oasis...

D'après la Danaïde d'Auguste Rodin 1885


La Chevelure ( Les Fleurs du mal, 1861)

Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure!
Ô boucles! Ô parfum chargé de nonchaloir!
Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir!
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:
Un port retentissant où mon âme peut boire
À grands flots le parfum, le son et la couleur
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé!
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde!
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir?


Un hémisphère dans une Chevelure
( Le Spleen de Paris, 1862 )


« Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes
cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs. »